Bertrand Deléon élu au Conseil National du Parti Breton

Trois hommes, vêtus de noir et coiffés de bonnets rouges, portent un cercueil en carton. Sur son épitaphe chacun peut y lire : « Gad, Doux, Tilly » – les entreprises d’agroalimentaires qui ferment dans le Finistère. Le cortège se dirige vers la préfecture de Quimper, des chrysanthèmes blancs au bras. Tout un symbole. Déposés par centaines autour du bâtiment administratif, en ce 2 novembre, jour de la fête des morts. Tourner une page historiquepour la région. Poser les bases d’une autogestion du « pays ». Une banderole ciglé « Re’zo ré » – trop c’est trop- accueille les bonnets rouges rassemblés pour l’emploi et la Bretagne.  C’est pour ces raisons politiques que Bertrand s’est rendu à Quimper. L’enseignant, dans une école Diwan, bilingue breton-français, et militant pour l’indépendance de son pays, se réjouit de voir les Bretons dans la rue. « Il y a une prise de conscience au pays, une sorte de bretonnitude qui se réveille. Les gens sentent qu’il faut être présent et solidaire pendant cette période difficile » lance ce grand gaillard d’1 mètre 80 à la tête rasée. Il grandit dans la banlieue de Rennes. Son père travaillait dans l’informatique. Sa mère était ouvrière dans une usine de chaussures puis dans une imprimerie. Sans parler breton à la maison, Bertrand ressent très jeune le sentiment de recevoir une éducation différente fondée sur une identité, une famille, un clan… Alors âgé d’une vingtaine d’années, Bertrand rend régulièrement visite à son frère postier à Paris, « les bretons là-bas étaient bien plus vindicatifs à l’égard des parisiens, ça m’a fait réfléchir… ».

Il apprend la langue, se documente sur l’histoire, intègre des mouvements politiques… Aujourd’hui, Bertrand milite au Parti Breton et se présente pour les élections municipales de Vannes de 2014. Le discours de l’enseignant est rôdé. Paris gaspille tous les impôts des contribuables français, en retour les bretons ne reçoivent que des « bruzuhn » – des miettes. « On pompe nos richesses, et maintenant les gens descendent dans la rue parce que cela ne peut plus durer. Leurs vies et leurs familles sont menacées par cette gestion centraliste. On s’attaque à notre fierté, celle des besogneux, celle des travailleurs». Lui, se bat pour une autogestion de son pays. Avec une assemblée législative bretonne, un statut de membre à part entière dans l’Union européenne, une autogestion des intérêts de la Bretagne… Bref l’indépendance.  A quelques encablures de la Place de la résistance, Bertrand distingue de nombreuses personnes munies des drapeaux Gwenn ha du, symbolisant le pays breton. Face au rassemblement, une banderole annonce la couleur : re’zo re – trop c’est trop- ce qui deviendra le slogan des 15 000 manifestants. Bertrand savoure ce moment. « C’est l’esprit celtique ça ! La notion de clan et de solidarité c’est dans nos gênes de bretons ! » scande le Vannetais avant de se faufiler entre les groupes à la recherche d’un bonnet rouge.   

Un grand rassemblement s’est déroulé à Quimper, le 2 novembre

Derrière cette révolte bretonne, il y a deux hommes. Christian Troadec, le maire de Carhaix (29), divers gauche, d’un côté, et Thierry Merret, à la tête de la FDSEA- Finistère, proche du Medef, de l’autre. Deux personnages unis pour le destin de leurs pays.  Ce n’est pas un coup d’essai pour le carhaisien. Il y a cinq ans, déjà il se fait remarqué en sauvant de la fermeture la maternité de sa ville. Ancien journaliste, fabriquant de bière bretonne pendant un temps, puis fondateur du festival des vieilles charrues… Ici, Christian est connu, influent et écouté. Il reçoit sans discontinu la presse dans la brasserie devant sa mairie. Autour d’une Coreff, la bière bretonne, servie par le patron James, il revient sur l’origine du mouvement des bonnets rouges. La crise de l’écotaxe s’installe, les usines ferment, la décentralisation est au point mort… Cette succession de déceptions poussent ce fils de paysan à prendre les devants. « Ces fermetures d’usine touchent une famille, un voisin,  une connaissance… De toutes les couches sociales. La solidarité est une valeur importante, c’est l’ensemble de la Bretagne qui est affecté. Aujourd’hui c’est la révolte d’une région qui en a assez des promesses ». Lui, a milité pour l’élection de François Hollande en 2012. Aujourd’hui il se sent floué, comme de nombreux bretons (Score de F. Hollande 56% en Bretagne). « Qu’est ce qu’il a fait pour la charte des langues minoritaires ? Pour la décentralisation ? Pour les fermetures d’usines ? ». Il y a deux semaines, le maire improvise et annonce le rassemblement de tous les bretons le 2 novembre à Quimper.

Bon vivant, le regard espiègle, il s’amuse de son union avec Thierry Merret. Ce dernier le contacte. « J’ai vu ton appel Troadec, je peux m’arrêter à Carhaix vers 16h ? ». L’élu municipal accepte le rendez-vous et se dirige sans tarder chez l’imprimeur de Carhaix pour tirer les affiches de son rassemblement. La rencontre se fait dans la brasserie de James. « Tu te souviens de moi ? On a joué à la pétanque il y a vingt ans ! ». L’élu municipal lui répond avec humour « Evidemment, tu m’avais battu d’ailleurs ». La glace est brisée. Christian Troadec présente sa manifestation, le lieu, clin d’œil au dernier discours du Général de Gaulle en 1969 sur la gratuité des voies en Bretagne, les affiches ensuite. Thierry Merret l’écoute. Puis il annonce que lui aussi a prévu un rassemblement le même jour mais dans la capitale du Finistère Nord : Morlaix. Le dirigeant de la FDSEA, légumier dans la région, et légumier à Taulé, s’écarte et prend son téléphone pour demander conseils. Le carhaisien attend une trentaine de minutes la sentence de Thierry Merret. La conversation téléphonique touche à sa fin. Le légumier prend une longue inspiration et annonce fièrement à son interlocuteur : « Troadec, tu as les légumiers avec toi à Quimper !». Signant l’acte de naissance de la révolte bretonne. A ces deux meneurs s’ajouteront les pêcheurs, les commerçants, les salariés, les horticulteurs… L’écotaxe cristallise la colère des insoumis. Organisés en collectif pour vivre, travailler et décider en Bretagne, les révoltés, arborant de bonnets rouges, multiplient les actions avant l’apogée du 2 novembre. Le symbole de ces coiffes fait mouche. Pourtant personne n’ose s’attribuer cette brillante initiative rappelant la révolte des bretons en bonnets rouges contre une autre injustice fiscale celle des papiers timbrés en 1675. Cette insurrection réprimée dans le sang par la royauté. « Nous connaissons notre histoire » scande le légumier de 52 ans.

Monseigneur Centène

Un soutien inattendu vient s’ajouter avec l’appel des quatre évêques de la région. Face à la détresse des bretons et aux échauffourées de l’écotaxe, l’Eglise bretonne lance un appel à la solidarité et au calme. Monseigneur Centene, évêque de Vannes depuis 2005, va plus loin, en exprimant par un billet d’humeur son soutien à la détresse des travailleurs. Au-delà de la tradition religieuse de la Bretagne, il s’agit pour le religieux originaire de la Catalogne Française et fils de paysan, d’un devoir personnel de soutenir ces manifestants. « Les bretons sont façonnés par des traditions et un attachement à une terre, cela a une résonance particulière pour le catalan que je suis. D’autre part, je pense qu’il est de ma responsabilité d’incarner ces valeurs, j’appelle les Bretons à manifester leur solidarité envers les travailleurs » affirme l’évêque de 55 ans. Assis dans le salon de l’évêché dans son costume noir, l’homme à la barbe grise et foisonnante pèse ses mots. Il n’ira finalement pas à la manifestation de Quimper, après avoir demandé à son entourage un covoiturage, l’évêque laisse entendre que ce n’est peut-être pas sa place.

Yannik B

Yannik ne s’est pas non plus rendu à la manifestation de Quimper mais pour d’autres raisons… Le chef d’entreprise qui se présente comme breton et européen avant tout, se rend à Carhaix. Lieu d’une contre-manifestation organisée par la CGT Finistère. Ce rouquin aux yeux clairs, élu régional sous l’étiquette EELV, se dit dans l’impossibilité de défiler sous les banderoles de la FDSEA et du patronat, de ceux qui cultivent sans limites et participent à l’agrobusiness. 2500 personnes sont présentes à Carhaix. Un rassemblement anecdotique face à la masse rouge de Quimper. Yannik ne pense pas avoir brouillé le message  de la révolte des bretons. Il définit cette révolte bretonne comme celle de « la revanche des ploucs. Ici on en a ras-le-bol, on a été humilié, maintenant on veut être revalorisé ».  Et cette reconnaissance passe comme pour les autres par une régionalisation, une décentralisation du pouvoir comme le candidat Hollande leur avait promis.  Avec le réveil des bretons du 2 novembre, Christian Troadec est convaincu d’une chose « ils ne pourront plus faire sans nous La vision d’un Etat central est obsolète on doit avoir des pouvoirs ». Quant à ses ambitions, le carhaisien esquive avec humour la question «  Pourquoi pas président de la Bretagne ?»

Paris Match

CategoryActualités

Le Parti Breton, pour une Bretagne émancipée, écologique, solidaire et entreprenante.

Nous suivre sur :