La genèse

L’industrialisation a gagné l’agriculture au terme de la 1ère guerre mondiale, en conjuguant les difficultés qui se présentaient dans plusieurs secteurs de la société.

         En premier lieu, l’Etat.

         L’Etat était confronté à la nécessité impérieuse de nourrir la population au lendemain d’une guerre ravageuse. Il fallait donc produire de l’alimentation en masse alors que la main-d’œuvre faisait cruellement défaut.

         En second lieu, la ruralité.

         Elle souffrait :

–      Elle aussi du manque de main-d’œuvre,

–      De quasi disparition du cheval de trait, qui était à l’époque, un outil essentiel du travail agricole

–      Globalement d’une désorganisation des exploitations agricoles.

         Enfin, les industriels, notamment de la chimie, qui se trouvaient à la tête d’outils de production devenus obsolètes, à savoir :

–      Des usines à reconvertir,

–      Des stocks de produits chimiques à reconvertir et à écouler en grande quantité.

         Les industriels ont bien compris qu’écouler des produits chimiques destinés à arroser les champs à cultiver était plus durable que de fournir en temps de guerre, qui même si elle très lucrative pour eux, reste quand même ponctuelle, alors que nous mangeons tous les jours et pour longtemps.

         La reconversion était toute trouvée.

         La seconde guerre mondiale a donné un nouvel essor à l’industrialisation agricole. Les marchés étaient très prometteurs. L’Etat a décidé une grande mutation de l’agriculture. Il a instauré le Plan. Il a procédé au remembrement avec toutes les injustices qui en sont nées. Des centaines d’exploitations ont disparu et l’exode rural entrainant une certaine désertification des campagnes. L’objectif était de moderniser les exploitations et de procéder à des regroupements pour faire des exploitations de plus grande taille et compétitives.

         D’autres secteurs économiques ne sont pas restés insensibles et s’y sont intéressés : l’industrie pétrochimique, l’agroalimentaire, la grande distribution, l’industrie pharmaceutique, la construction, le transport, et bien sûr les banques.

         Cela a été une course folle à la productivité, à la production de masse, et les agriculteurs ont goûté aux délices du crédit. C’était les 30 glorieuses et nous pouvions dépenser sans trop compter. D’ailleurs, l’Etat et le syndicat majoritaire ont stimulé cette politique débridée.

         Puis la concurrence s’est développée. D’abord en Europe, puis au niveau mondial. Quelques crises ponctuelles ont frappé, mais les industriels s’en sont toujours à peu près bien sortis par le jeu d’aides et de subventions pour accroître leur compétitivité. Cela a été beaucoup plus dur pour les agriculteurs.

         Au cours des années, la concurrence, l’O.M.C, l’Union Européenne, par le jeu des règles, des normes, de la P.A.C et autres subventions, ont transformé l’agriculture par une économie administrée et artificielle, qu’il faut intégrer au bilan de l’agriculture industrielle. Explications :

         Le premier critère de l’économie artificielle réside dans le fait que la grande majorité des agriculteurs ne peuvent pas vivre des fruits de leur travail.

         Par ailleurs, la P.A.C représente, selon les années, un peu moins de 50 % du budget de l’U.E, soit environ 55/60.000.000.000 € / an. Cela implique que l’U.E déverse environ 110.000 € par minute aux exploitations agricoles pour faire fonctionner ce secteur économique. A ce niveau, ce n’est plus de l’aide ni de la subvention, c’est de la perfusion pour maintenir artificiellement une activité défunte telle qu’elle est puisqu’elle ne répond plus à aucune règle élémentaire du commerce.

         Il n’est pas question de jeter tout en bloc. La situation créée depuis des lustres fait que cette activité a besoin d’un système compensatoire (PAC ou autre) mais il est temps de tout reconstruire.

         Le système en place va plus loin car il fait aussi vivre d’autres acteurs de l’agriculture. Pour ce faire, c’est très simple :

         La commission européenne édicte de nouvelles normes. Pour les respecter, l’agriculteur est contraint d’emprunter et d’investir. Dans une telle opération, l’agriculteur alimente :

–      La banque qui accorde le prêt,

–      La ou les entreprises qui procède(nt) aux travaux de mise aux normes. Cela va de la construction aux marchands de matériels (froid, abattage, traitement eaux, etc…)

         Le même processus est appliqué au matériel roulant. Ainsi, tout le monde est satisfait et tous les rouages ont été alimentés.

         Néanmoins, l’agriculteur, lui, s’est endetté et il n’a quasiment aucune possibilité de répercuter ses surcoûts qui découle de son endettement, ou pire, s’il en a profité pour s’agrandir ou augmenter sa production, ce qui aura pour conséquence de créer une surproduction puis un effondrement des cours puis la faillite. (Ce fut le cas avec la production d’œufs).

         Ne nous y trompons pas. Cette économie artificielle et administrée où beaucoup d’argent circule crée la désespérance de la grande majorité des agriculteurs car elle met à mal leur santé, leurs revenus, leur fierté et même leur liberté.

         A propos de liberté et de revenus, quelques exemples frappants caractérisant les actions gouvernementales en faveur des industriels :

–      Loi de novembre 2010 : Elle envisageait l’interdiction aux agriculteurs la possibilité de réutiliser leurs propres semences à moins de payer une taxe à l’industrie semencière

–      Suppression des quotas laitiers pour 04/2015. En fait, il s’est agi de transférer les quotas administratifs en quotas privés entre les mains des industriels avec, à la clé, des contrats quasi léonins où le lait n’appartient plus au producteur et où le transformateur fixe lui-même le prix du lait qu’il achète au producteur. Le monde à l’envers !

         D’autres contractualisations vont suivre et il est à craindre que le contenu des contrats ne réserve encore quelques surprises.

         Maintenant, nous vivons crise agricole sur crise agricole. Les producteurs sont contraints de vendre en dessous du prix de revient et ainsi se dirigent vers des situations financières de leur entreprise plus que difficiles.

         Nous voyons bien que le système est en bout de course. La financiarisation de l’agro alimentaire n’a pas arrangé la situation. Les fonds de pension qui ont investi dans les entreprises industrielles de l’agroalimentaire exercent une gouvernance d’actionnaires et non de partenaires. C’est la dictature des taux de rendement financier.

         Nous en sommes arrivés à un tel point d’industrialisation qu’à la fin du XXème siècle, s’est mise en place « l’agro-tertiaire ». Cette terminologie s’explique par le fait que l’aliment n’est plus un bien matériel mais un service. En effet, son prix est composé majoritairement de coûts de services : transport, marketing, publicité, intérêts bancaires, assurances, marge de distribution, impôts et taxes. Aux U.S.A, le prix de l’aliment se détaille comme suit :

–      50 %        Les services,

–      20 %        Les matières premières agricoles,

–      30 %        Industrie alimentaire et principalement l’emballage

         Il ne faut que nous soyons rassurés parce que cela se passe aux Etats-Unis car nous sommes sur la même lignée.

        Quel bilan pour l’agriculture industrialisée et l’industrie agroalimentaire ?

         Du point de vue du consommateur « occidental », l’industrialisation du modèle agroalimentaire que nous connaissons a eu quelques effets :

–      Il a éloigné le spectre de la famine,

–      Il a permis d’atteindre l’autosuffisance au niveau global

–      Des progrès techniques considérables ont été réalisés,

–      Les sciences agronomiques ont permis de mettre au point de manière opérationnelle un système de production alimentaire efficace par rapport à l’objectif d’autosuffisance

–      Il a généré une très forte baisse du prix des aliments,

–      Il nous a procuré l’innocuité alimentaire car en dépit de quelques crises (vache folle, dioxine, listeria…) le nombre de décès pour des raisons de toxicité des aliments est très faible. Le système agroalimentaire industriel est très sûr, mais il reste très vulnérable à des pathologies contagieuses su fait de sa très forte concentration.

–      Il a eu un impact positif sur l’économie dans la mesure où il a contribué à l’essor de nouveaux secteurs (Emballage, logistique, distribution, restauration…)

         Par contre, pour établir une approche bilancielle complète, le modèle agro-industriel, malgré les efforts certains, n’a pas atteint l’objectif de tout système alimentaire, tel que défini par le sommet mondial de l’alimentation sous les auspices de la FAO (Québec 1995) :

         « Assurer l’accès de tous à une alimentation disponible à proximité, économiquement accessible, culturellement acceptable, sanitairement et nutritionnellement satisfaisante ».

         Là, l’échec est patent. Il n’est certainement pas du à la construction du système alimentaire industrialisé mais plus à ses aspects économico-financier qui est mû par des considérations pécuniaires plutôt que solidaires et encore moins humanitaires. Mais cet échec est plus large, car :

–      Il a entrainé la disparition d’un savoir-faire ancestral des paysans,

–      Il a généré une perte partielle d’identité paysanne,

–      Les revenus des agriculteurs ont considérablement baissé au point d’être insuffisants pour mener une vie décente pour un bon nombre,

–      Il leur a fait perdre beaucoup de leur liberté dans la gestion de leur entreprise au moyen de contrats que nous pourrions qualifier « d’unilatéraux »,

–      Et surtout, il est aussi à l’origine des suicides d’agriculteurs qui atteignent le chiffre moyen de 2 par jour, montrant un tissu social agricole délité.

         Enfin, il y a un autre impact de l’industrialisation, et non des moindres. Il concerne l’impact de l’agriculture industrialisée sur l’environnement, qu’il s’agisse du climat, de l’eau, des sols, de la biodiversité, de la qualité des aliments.

         Ce dernier élément nous permet de nous interroger sur la pérennité du modèle agricole industrialisé.

         En effet, à cet élément environnemental, il faut ajouter un paramètre démographique. Les Experts nous laissent envisager une augmentation de la population mondiale de 50% d’ici 2050. Les démographes prévoient un état stationnaire autour de 9 milliards.

         La terre peut-elle nourrir 9 milliards d’humains ?

         On peut apporter une réponse nuancée. En effet, la réponse est :

–      Oui, sur un plan technique car les progrès réalisés et ceux à venir nous permettent d’affirmer que nous serons à mêmes de produire suffisamment à l’horizon 2050. Les solutions existent au niveau des laboratoires de recherches.

Mais :

–      Oui si, les Hommes sont capables de mettre en œuvre des transformations socio-économiques et politiques permettant l’accès à l’alimentation et surtout à la création de l’aliment, c’est-à-dire apporter la connaissance dans les pays en voie de développement et faire en sorte de les mettre sur le chemin de l’autosuffisance alimentaire. Quel défi, d’autant que cela impliquerait de très lourds investissements qui dépassent très largement les financements que les pays dits riches allouent aux pays pauvres.

         Ces éléments nous amènent à considérer qu’une réflexion sur un nouveau modèle agricole, non industrialisé, doit se faire à l’échelle planétaire et de manière globale, d’une part, et, d’autre part, englober une révision de notre modèle alimentaire qui est fondé sur une consommation trop importante de protéines animales, néfastes à la santé et très coûteuses à produire. (Produire 1 protéine animale consomme 7 protéines végétales).

         En outre, étendre notre modèle actuel à l’ensemble de la planète nous mettrait dans de graves difficultés car les ressources en eau et en sols nécessaires à ce projet excèderaient celles que la Planète nous offre.

        Quel(s) modèle(s) de système agroalimentaire pour demain ?

         Schématiquement, nous pensons qu’il y aura 2 types d’agriculture, ce qui d’ailleurs commence à se dessiner, mais encore de manière imparfaite et non structurée. Nous aurons :

Une agriculture quantitative et une agriculture qualitative.

         Il faut savoir que de nombreux pays sont dépendants du modèle agroalimentaire industriel car très intégrés au marché international. En outre, le système actuel se situe dans un contexte de gigantisme des firmes agro-industrielles et agro-tertiaires.

         Il est clair que pour ces entreprises, une reconversion dans un modèle d’agriculture durable et donc d’exploitations de plus petites tailles est quasiment irréalisable. Par ailleurs, généraliser le modèle basé sur des petites unités de production agricole et artisanale signifie une forte baisse de la productivité du travail (ainsi que de la terre et du matériel). De ce fait, une baisse des capacités d’exploitation du fait d’une moindre compétitivité  internationale aurait de lourdes conséquences dommageables sur la croissance économique et l’emploi.

         En fait, techniquement, nous avons le savoir-faire pour mettre en place une agriculture durable, respectueuse de l’environnement et produisant de manière suffisante pour subvenir aux besoins de la planète et surtout des pays en voie de développement, mais nous sommes bloqués du fait de l’inadaptation de nos géants de l’industrie agroalimentaire, aux risques économiques et sociaux graves.

         Il faut ajouter une autre difficulté à surmonter et qui va nous demander beaucoup d’efforts : Le changement climatique, lequel commence à se manifester de manière patente.

         Cet ensemble de données nous a amené à réfléchir à ces 2 types d’agriculture :

–      Une agriculture durable produisant de manière suffisante pour maintenir notre place à l’international.

         Pour l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE, 1993), une agriculture durable comporte quatre éléments :

                   – un système de production viable au plan économique en son état actuel,

                   – la préservation et la valorisation des ressources naturelles de base de l’exploitation agricole,

                   – la préservation ou la valorisation d’autres écosystèmes affectés par les activités agricoles,

                   – la création d’un cadre naturel agréable et de qualités esthétiques.

         L’agriculture durable sera donc une agriculture qui peut durer parce qu’elle ménage son environnement et sauvegarde à long terme ses capacités de production. Il s’agit de préserver l’intégrité des moyens de production (sol, eau, etc.) tout en conservant la rentabilité de l’agriculture et en répondant aux besoins humains. Elle doit également prendre en considération divers aspects éthiques (toutefois cette dernière dimension n’est pas toujours prise en compte dans les définitions proposées, certaines mettant essentiellement l’accent sur les aspects environnementaux).

         En définitive, une agriculture durable serait donc, dans l’idéal : respectueuse de l’environnement, préservant les ressources, maintenant le potentiel de production pour les générations futures et ne détruisant pas les autres espèces; rentable pour les agriculteurs et praticable à long terme; assurant la suffisance et la qualité de l’alimentation à toutes les populations; équitable au niveau social et humain, entre les différents pays et dans chaque pays; socialement acceptable.

         Il faut donc concilier les aspects écologiques et économiques.

        L’agriculture durable quantitative

         On peut envisager de « régionaliser » l’agriculture européenne, d’autant que le changement climatique risque fort de nous y contraindre, notamment en Europe. Une telle hypothèse nous oblige à empiéter sur le domaine politique. Une Europe réellement Fédérale favoriserait la réussite d’une telle démarche ou à minima une fédération regroupant Allemagne, Hollande, Belgique, Italie, Espagne, Portugal et la France.

         Ensuite, au sein de la région déterminée d’un commun accord entre les pays participant à cette action de création d’un nouveau modèle agricole, créer des SYAL spécialisés en fonction des atouts locaux ou régionaux (Système Agroalimentaire Localisé) qui organisent les cultures mais aussi la transformation, la commercialisation mais aussi la recherche et développement, les financements, la logistique…

        Définition d’un système alimentaire ?

         C’est la manière dont les Hommes s’organisent, dans l’espace et dans le temps, pour obtenir et consommer leur nourriture.

        Définition d’un SYAL ?

         Ensemble d’organisations de production et de service (Unités de production agricole, entreprises agroalimentaires, commerciales, de services, restauration) associées de par leur caractéristiques et leur positionnement à un territoire (ou une région) spécifique.

         Le milieu, les produits, les Hommes, leurs institutions, leurs savoir-faire, leurs comportements alimentaires, leurs réseaux de relations, se combinent dans un territoire pour produire une forme d’organisation agroalimentaire à une échelle spatiale donnée. (Economie, géographie, sociologie, anthropologie, agronomie…)

         Un SYAL est un outil d’orientation, d’action dans les processus d’innovation et de développement territorial. C’est aussi un instrument de recherches. La notion de territoire et d’ancrage est fondamentale dans les réflexions du SYAL et tous les autres champs de réflexion se rapportent au territoire.

         3 caractéristiques du SYAL :

–      La 1ère se situe en aval, impliquant les liens avec les consommateurs et la place particulière des biens alimentaires dans la construction de références identitaire des individus et sociétés avec qui il commerce,

–      La 2ème se situe en amont et concerne les liens avec la terre, les paysages, les ressources naturelles et l’usage de la biodiversité, en tenant compte du caractère saisonnier et/ou périssable des matières premières mobilisées.

Elle associe par conséquent, les connaissances et savoir-faire que déploient les groupes humains pour construire ces liens.

–      La 3ème se situe au cœur du système et concerne la concentration spatiale des activités, leurs modalités d’occupation de l’espace et de la délimitation du territoire dans lequel se situent les ressources et les interactions sociales qui donnent sens au système.

         Ce type d’outil peut s’apparenter à un cluster ou un parc éco-industriel mais rapporté à l’agriculture et l’agroalimentaire, qui fonctionne de manière autonome mais en coordination avec d’autres SYAL et dans le cadre des options de la politique gouvernementale.

         Nous ferons sous peu une publication développant plus avant la pratique d’un SYAL.

        L’agriculture durable qualitative

         Confluence est en train de mettre la dernière main à un projet agricole et alimentaire en circuit court intitulé : « Agriculture durable et coopérative ».

         Là aussi nous sommes dans le cadre d’une agriculture localisée, de grande qualité, Biologique et non biologique mais labellisée et maitrisant les opérations de la production, de la transformation et de la distribution dans des points de vente.

         Ces points de vente sont alimentés par un pôle logistique qui regroupe les producteurs qu’il s’agisse de viande, légumes, ou fruits et des produits tels que pain, épicerie issus des productions des adhérents.

         Ce modèle est transposable dans toutes les régions de France et outre frontière.

         Là aussi, nous sommes dans une agriculture durable mais adaptée à l’échelle locale.

         Notre projet fera lui aussi, l’objet d’une publication prochaine.

         Nous pensons que rien n’est arrêté en la matière car le champ de recherches et les problématiques tellement diverses et multiples.

         Tout ce que nous venons d’exposer n’est que le point de départ d’une réflexion qui devra s’affiner dans une démarche collective, notre rôle de think tank consiste à émettre des idées, des projets, générer le débat et c’est à cela que nous allons nous attacher. Le chantier vient de s’ouvrir.

         Confluence.

         Le Président,

         Gérard VIALE.

CategoryAgriculture

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