
Le mouvement des bonnets rouges a dépassé le cadre breton. Nous interrogeons Yves Pelle, président du Parti Breton, notre mouvement frère, pour mieux comprendre de l’intérieur, les raisons de la colère et les perspectives d’avenir. L’Etat aurait du mal à étouffer ce mouvement.
Les licenciements et la pose des portiques de l’écotaxe, sont-ils les déclencheurs de ce mouvement pluriel ?
Comme toujours en pareille circonstance, il y a des facteurs déclencheurs, comme l’écotaxe ou les licenciements économiques, en même temps que des causes plus profondes au malaise traduit par le mouvement de révolte en Bretagne. Du fait de son éloignement des grands centres de consommation européens et du poids qu’y ont des industries fortement impactées par les couts de transport comme l’industrie agro-alimentaire, la Bretagne a très logiquement ressenti l’écotaxe comme un facteur négatif et très discriminant de compétitivité pour son économie. D’où un consensus social pour en demander l’abrogation. De même les restructurations annoncées dans beaucoup d’entreprises emblématiques comme Alcatel, Gad, Doux, PSA, ont révélé les fragilités du territoire et ont attisé les inquiétudes. Mais plus profondément on a pu mesurer à cette occasion combien la Bretagne manquait d’une stratégie de territoire claire, combien elle subissait la complexité et la lourdeur de fonctionnement d’un état centralisé et jacobin, combien le pouvoir régional réel était faible. L’évolution du modèle agricole et agroalimentaire, pourtant à l’origine du miracle économique breton, est une bonne illustration de l’immobilisme et de l’absence de stratégie face à une concurrence européenne qui s’est renforcée au cours des dernières années.
Le ton clairement régionaliste est-il porteur ou est-ce un frein au développement de ce mouvement social ?
Le réflexe d’identité est toujours présent en Bretagne et les Bretons ont mesuré à l’occasion de ce mouvement que l’Etat complètement désargenté n’avait plus les moyens de jouer son rôle de filet social de sécurité et d’aménageur du territoire, d’où l’émergence de l’idée d’une réelle gouvernance régionale seul moyen de régler les problèmes que traverse actuellement notre territoire. Le «pacte d’avenir» promis par le gouvernement ne peut constituer au mieux qu’une sorte de cache misère qui n’est pas à la hauteur des enjeux exprimés par le mouvement de révolte. Le Finistère qui a subi la plus grande partie des restructurations industrielles en cours, a cristallisé les mécontentements et vu naturellement émerger des leaders comme Christian Troadec dont la ville de Carhaix est très touchée par les licenciements. Le Parti Breton dénonce depuis longtemps l’absence de vision stratégique et le carcan administratif dans lequel a été enfermée l’économie bretonne, aussi nous sommes nous très vite associés au collectif des bonnets rouges dont nous partageons les revendications, «vivre, travailler et décider en Bretagne». Rappelons qu’aux élections régionales de 2010, nous avions présenté la liste commune «Nous te ferons Bretagne» avec Christian Troadec.
Les propositions du Gouvernement pour la Bretagne sont-elles suffisantes et pertinentes ?
Le pacte pour l’avenir n’est pas la réponse attendue par les Bretons. L’Etat est désargenté et voudrait régler en 3 mois ce qu’il n’a pu faire en 10 ans. En réalité, il ne veut traiter que la superficialité des questions, aidé en cela par une majorité socialiste en Bretagne qui se satisfait d’un pouvoir régional croupion. En refusant d’ouvrir la discussion sur le transfert de pouvoirs à la région et sur la réunification avec Nantes et la Loire Atlantique, il ne crée pas les conditions d’une solution pérenne aux questions posées. Nous pensons qu’à l’instar de ce qui se passe dans les grandes régions ou territoires européens à forte identité, Flandres, Pays Basque, Catalogne, Ecosse, … l’avenir réside dans un transfert en Bretagne des pouvoirs, d’abord réglementaires, puis législatifs sur les domaines non régaliens, comme l’éducation, la recherche , l’économie, l’aménagement du territoire, la culture, la langue qui permettra aux Bretons d’agir de façon responsable dans un cadre réglementaire simplifié . Les élites parisiennes qui s’appuient sur de nombreux élus qui veulent préserver leurs menus pouvoirs locaux n’ont pas compris que le mille-feuille administratif actuel constitue l’un des freins majeurs aux réformes indispensables. Si la France ne veut pas se réformer, qu’elle laisse les Bretons et ceux qui le souhaitent ailleurs le faire. Il y a urgence !
Le slogan « vivre, travailler et décider au pays » qui rappelle les années 70 est-il toujours pertinent aujourd’hui ?
Par rapport à 1970, s’est ajoutée l’envie de «décider «au pays, ce qui est nouveau. Le contexte de 2013 n’est plus le même, l’Etat est impécunieux, il ne pourra plus jouer le rôle d’aménageur du territoire pour calmer les revendications et nous appartenons à l’espace plus large de l’Union Européenne qui , de notre point de vue, a vocation à renforcer son intégration. Nous avons, quelques temps avantcette révolte, signé avec d’autres mouvements politiques bretons la plate forme «Libérons les énergies en Bretagne» où nous appelions de nos voeux, entre autres choses, une ouverture vers un meilleur équilibre du pouvoir entre l’Etat central et la région. Pour le Parti Breton cette revendication est au cœur de notre combat pour une Bretagne belle prospère et solidaire. Nous pensons que le mouvement actuel doit être le tremplin de la prise de conscience en Bretagne que nous seuls avons les clés de notre avenir.