Yves François Le Coadic, Délégué du Parti Breton a demandé hier au Parlement européen que la France change radicalement son attitude, en matière de diversité linguistique. Ce changement serait cohérent avec le Traité de Lisbonne et la question des locuteurs de langues minorisées, à traiter au niveau des Droits Fondamentaux. Yves François Le Coadic pense que l’Europe devrait élaborer une législation contraignante pour les protéger.
Les « intergroupes » du Parlement Européen transcendent les partis politiques et peuvent avoir une influence non négligeable sur les décisions européennes. L’intergroupe « minorités traditionnelles, communautés nationales et langues » qui regroupe des élus de différentes sensibilités politiques venant de l’ensemble des états membres de l’Union Européenne abordait ce jeudi le problème de la diversité linguistique en France. Le seul eurodéputé français, membre de cet intergroupe, Eric Andrieu de Narbonne a brillé par son absence. Les représentants de 5 communautés linguistiques différentes ont présenté leur situation et les défis auxquels ils sont confrontés.
L’organisatrice de l’audition, l’eurodéputé basque-espagnole Izaskun Bilbao Barandica, vice-présidente du groupe politique ALDE (Alliance of Liberals and Democrats for Europe) faisait remarquer dans son introduction que si la France a imposé pendant des siècles l’usage d’une seule langue au détriment des langues de territoires qu’elle a conquis, elle va devoir maintenant apprendre la diversité linguistique. Rappelant qu’environ cinquante millions d’habitants de l’Union Européenne appartiennent à une minorité nationale ou à une minorité linguistique et que ces minorités enrichissent l’Europe, elle a rappelé les promesses du président français Macron et nous a encouragé à signer la pétition lancée par l’Initiative citoyenne européenne “Minority Safepack” (http://www.minority-safepack.eu/main/index) et pilotée par la FUEN (Union fédéraliste des communautés ethniques européennes) afin d’apporter notre soutien à un meilleur avenir pour les minorités nationales et les minorités linguistiques d’Europe.
C’est ensuite le représentant du Parti EAJ (Euzko Alderdi Jeltzalea) PNB (Parti Nationaliste Basque), président de la branche française (Ipar Buru Batzar), Pako Arizmendi qui était chargé d’introduire cette réunion. Il a fait remarquer l’existence, bien avant les actuels Etats et leurs langues officielles, de plusieurs populations européennes parlant des langues propres. Citant l’exemple du basque, il a insisté sur le rôle affectif et social que joue la langue dans le vécu harmonieux des peuples. Malgré la déclaration universelle de l’UNESCO de 2001 sur les droits culturels et la formation des identités culturelles, la Charte européennes des droits fondamentaux, la France, chantre des droits humains, n’a toujours pas ratifié la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Il en résulte une rupture d’égalité pour les citoyens et une absence de protection légale. Il était donc important de pouvoir présenter devant l’intergroupe du Parlement européen l’étonnante situation française et de donner la parole à des membres des minorités nationales françaises suivantes; alsacienne, basque, bretonne, catalane et occitane. Le but étant d’obtenir une reconnaissance des droits linguistiques de ces minorités.
Puis le délégué du SB/PB (Strollad Breizh/Parti Breton), Yves-François Le Coadic a présenté les politiques de la langue bretonne en Bretagne. La langue bretonne n’étant pas une langue officielle régionale, les interventions sur les questions de langue bretonne sont donc le fait soit de collectivités territoriales comme la région administrative nommée à tort BRETAGNE (car amputée d’un de ses départements historiques, la Loire Atlantique) ; soit de structures associatives régionales ou locales comme le collectif Ai’ta! (Allez en français). Ce sont des politiques linguistiques de protection, patrimoniale et non des politiques de soutien et de développement. Classée par l’UNESCO comme une langue sérieusement en danger, la langue bretonne ne compte plus que 4,5 % de locuteurs actifs. Ce n’est qu’en acquérant un statut de langue officielle régionale que la langue bretonne ne disparaîtra pas et que son usage et son enseignement pourront être promus et renforcés aux plans institutionnel, médiatique et éducatif.
Le représentant de la minorité catalane française Jordi Vera (Oui au pays catalan) a eu en préambule une pensée pour le gouvernement catalan en exil en Belgique et en prison en Espagne et pour le peuple catalan, victime d’une violente répression lors des élections référendaires d’octobre 2017. Après quelques rappels historiques sur la Catalogne française et la langue catalane interdite pendant plusieurs années, il a indiqué qu’aujourd’hui 20 % des élèves catalans français bénéficiaient d’un enseignement du catalan et que 76 % des parents d’élèves étaient favorables à son enseignement. Mais, en moyenne, seulement 6 minutes par semaine sont consacrées aux émissions en catalan à la télévision d’Etat.
Pour la langue basque, l’euskara, c’est Beñat Arrabit d’EAJ-PNB, par ailleurs président de l’Office Public de la Langue Basque, qui a dressé un état de cette langue en Pays Basque de France. S’il reconnaît que l’existence de cet organisme est important pour la définition d’une politique linguistique pour la langue basque, il ne lui assure pas pour autant une protection légale dans la société basque. Le cadre juridique français inflexible ne reconnaît pas les langues des territoires autre que celle l’hexagone. D’où la revendication d’une loi européenne pour protéger la diversité linguistique. Et l’engagement d’EAJ-PNB en faveur d’un “Statut territorial de l’euskara”, première étape vers sa reconnaissance officielle et levier indispensable pour entreprendre une véritable récupération linguistique. En 2016, au Pays Basque de France, 20,5% des habitants sont bilingues bascophones. Mais la transmission familiale ne se fait plus. Pourtant, 60 % des habitants disent leur intérêt pour la langue. Les 15 écoles publiques immersives (qui ont un fonctionnement comparable aux ikastola, écoles privées associatives), qui fonctionnent sous une forme associative et sur le principe de l’immersion totale en langue basque, n’étant pas reconnues par la législation française, ne reçoivent pas de subventions publiques. Il n’est toujours pas possible de passer le baccalauréat en euskara.
Puis, Peire Barral et Gèli Grande exprimèrent le point de vue du Partit de la Nacion Occitana (PNO). L’absence de politique linguistique autre que pour la langue française fait que la langue occitane est pratiquement absente de l’espace public. 0,3% des élèves sont dans des écoles primaires en occitan. L’étendue et la diversité du territoire occitan, du pays de la langue d’oc, un tiers du territoire français, exigerait la coopération des régions qui le composent. Mais la colonisation culturelle et linguistique avalisée par la passivité, l’indifférence ou l’hostilité d’une grande partie des élus de ces régions freine la mise en oeuvre des politiques de valorisation et de transmission de la langue. C’est le mouvement associatif et citoyen qui dynamise les politiques publiques avec la création de l’Office Public de la Langue Occitane (OPLO), d’une web-télé “Oc Tele” et la consolidation du Centre Inter-régional de Documentation Occitane (CIRDOC), véritable bibliothèque nationale occitane.
Enfin, clôturant ces présentations, Andrée Munchenbach d’Unser Land, le Parti Alsacien, rappelle avec Albert Schweitzer que la langue parlée de l’Alsace est un dialecte germanique, l’Elsässerditsch, et que la langue “toit”, “die Dachsprache”, est l’allemand standard. Ce qui fait de l’allemand une langue régionale de France! Reprenant les statistiques de l’Office pour la Langue et les Cultures d’Alsace et de Moselle (OLCA), elle évoque le déclin brutal de la pratique de la langue. Parlée par 95% de la population il y a un siècle, elle ne l’est plus que par 43% en 2012, parmi lesquels seulement 3% ont moins de 17 ans. Les raisons sont multiples: la première c’est son éradication programmée par l’Education Nationale, qui notamment n’assure pas un recrutement et une formation suffisants des enseignants. Sous ses deux formes, dialectale et standard, le « Ditsch » est de plus en plus absent de l’espace public, des médias (disparition des émissions en Elsässerditsch de la radio hertzienne, sans remplacement à ce jour sur la RNT) et ne se voit accorder qu’une place dérisoire à la télévision dite régionale. Les pages en allemand des journaux disparaissent. Les responsables politiques régionaux ne portent aucun projet réellement ambitieux pour faire de l’Alsace une région bilingue, dans le sens de sa vocation européenne. Malgré des contributions financières régulières des collectivités alsaciennes (3M€ / an depuis 1994), l’enseignement bilingue paritaire précoce allemand-français ne bénéficie qu’à 14,7 % des élèves du primaire. Ensuite ils ne sont que 5,5% des collégiens à avoir une ou deux matières enseignées en allemand. 3,9 % des lycéens de l’enseignement général ont accès à la voie, élitiste, de l’Abi-Bac, qui prépare à la fois à l’Abitur et au Baccalauréat. La situation risque de se dégrader davantage encore à la suite de la réforme territoriale qui a fait disparaître l’Alsace dans un Grand-Est majoritairement monolingue.
Le débat
Quatre eurodéputé(e)s sont intervenus.
La première, une hongroise, souligne que son pays ayant été découpé et que des minorités hongroises se trouvent maintenant dans les pays voisins, elle est bien au fait de ces problématiques. C’est pour elle un choc de savoir qu’en France il existe ces minorités linguistiques. En Hongrie, c’est la voie juridique qui a été utilisée pour défendre les minorités hongroises. Une association de juristes apporte de l’aide aux minorités devant les tribunaux. Les deux autres, roumain et lettone, nous ont encouragé à à signer la pétition lancée par l’Initiative citoyenne européenne “Minority Safepack”.
Pour le Parti Breton
Yves François Le Coadic
Professeur honoraire du CNAM
Thierry Salaun
Membre du conseil national Chargé des relations internationales au Parti Breton/Strollad Breizh