J’étais le 18 juin dernier à Pontivy, chez Robic. Au nom de mon syndicat, la Confédération Générale des Petites et Moyennes Entreprises, je suis un des premiers signataires de l’appel des entrepreneurs bretons «Pour une Bretagne belle, prospère, solidaire et ouverte sur le monde».

Que se passe-t’il ? Les entreprises constatent une paralysie progressive de la production en France (et donc en Bretagne), non seulement du fait de la concurrence mondiale, mais aussi par tout un arsenal législatif devenu absurde. Prenons un exemple. Le gouvernement français, pour relancer l’emploi, a décidé une baisse de charges sur les salaires inférieurs à 2,3 fois le SMIC. Très bien… Mais n’allez pas croire qu’il s’est contenté de baisser un pourcentage. Ce serait trop simple. Il a institué la CICE (Crédit Impôt Compétitivité Emploi) qui est un dossier touffu et tatillon de demande d’exonérations. Il est d’ailleurs tellement touffu que plus de la moitié des entreprises, les petites en particulier, renoncent à le demander. Pour les travailleurs pauvres et les chômeurs, c’est la même chose. Le dossier RSA (Revenu de Solidarité Active) est tellement pénible à remplir qu’un million de foyers qui y ont droit renoncent à le demander. Dans les deux cas, la «mesure d’aide» ressemble beaucoup à un flicage et à une mise sous tutelle.

En agriculture, les dossiers de mises aux normes prennent tellement de temps à être étudiés qu’ils deviennent obsolètes avant d’être validés, parce que de nouvelles normes sont apparues.

 

On pourrait multiplier les exemples. Le résultat est que ceux qui trichent s’en sortent mieux que les autres. Le malheur des Bretons est qu’ils sont consciencieux et honnêtes. L’économie souterraine n’est que de 2,5% chez nous alors qu’elle atteint 15% en moyenne en France et plus de 20% dans certaines régions. Dans un contexte de concurrence entre pays, et aussi entre régions, l’honnêteté qui nous colle à la peau est devenue un handicap mortel.

L’abcès de fixation est l’écotaxe. La désobéissance civile est envisagée. En effet, cette nouvelle taxe est une arnaque. Elle est théoriquement faite pour favoriser le ferroutage, le transport rail-route. Or, la SNCF n’a rien fait -et ne fera rien- pour offrir cette possibilité aux Bretons. Les lignes à grande vitesse à l’ouest de Nantes et de Rennes sont reportées au-delà de 2030, ce qui veut dire qu’elles ne seront jamais réalisées. Pire, la SNCF a essayé de couler la seule compagnie ferroviaire bretonne, CombiWest. La Bretagne, qui vit sur une économie très territorialisée, n’a pas d’autre choix que le camion. L’écotaxe sera un prélèvement fait sur les Bretons, qui n’ont pas d’alternative, et dépensé hors de Bretagne.

Ce sera la première fois qu’un péage est établi en Bretagne. Défaite à la fois historique et symbolique… Le 1er octobre prochain, il taxera les camions de plus de 3,5 tonnes. Il est évident que, si ça marche, ça ne s’arrêtera pas là. Progressivement, tous les véhicules à moteur seront taxés, vraisemblablement au nom de l’écologie. A n’en pas douter, on nous parlera abondamment de démarche citoyenne.

Dans le même temps, on voit des élus et des fonctionnaires territoriaux acheter du granit chinois pour paver nos villes, au nom de la bonne gestion publique et du respect de la législation sur les appels d’offres. La façon dont les achats publics sont gérés illustre le retard du monde administratif et politique par rapport aux entreprises, sur la responsabilité sociétale, en particulier en matière d’emploi. Après avoir viré sans état d’âme les entreprises locales de leurs appels d’offres, on les voit, écharpe tricolore au vent, manifester contre les licenciements et jouer les indignés.

Nous ne sommes plus en période de prospérité. Pour un entrepreneur breton, lorsque le seul objectif est le gain financier, s’expatrier est la meilleure solution, simple à mettre en ½uvre et assez excitante. Ceux qui créent, reprennent ou conservent une entreprise de production, ici en Bretagne, dans l’économie réelle, le font pour d’autres raisons que le seul gain financier. Entreprendre ici a-t’il encore un sens ? Beaucoup d’entre eux se disent que c’est la Bretagne et les Bretons qui motivent leur entêtement.

Dans une ambiance de crise et de chaos, les entrepreneurs bretons mènent un combat pour produire des richesses et créer de l’emploi. Et le mouvement breton ? Les associations culturelles ne trouvent plus de subventions publiques. Elles se tournent alors vers les entreprises, mais elles sont déçues. Oui, elles sont déçues par ces patrons qui ont des préoccupations de survie et d’emploi, alors qu’ils devraient s’intéresser à la langue et à la culture bretonne.

Qui doit soutenir l’autre ? Il semble évident que le monde économique se doit de soutenir le monde culturel. Et si, aujourd’hui, c’était aussi l’inverse ? Si la lutte contre les péages français chez nous était bel et bien un combat pour la Bretagne, comme le fut la bataille du rail ? Il faut que le militant breton s’aperçoive que, dans un contexte chaotique, la coalition des intérêts est préférable à la posture du mendiant énervé.

Au cours des années 60, l’Emsav a raté sa jonction avec une révolution agro-alimentaire qui a transformé socialement la Bretagne. Ce fut une erreur historique. Le mouvement breton s’est condamné lui-même à la marginalité. Aujourd’hui, nous sommes, de nouveau, à la croisée des chemins. Les militants bretons vont-ils, de nouveau, se réfugier dans leur tour d’ivoire ?

Chaque profession a une utilité sociale ; sinon, elle n’existerait pas. Sans employeur, pas de salaire. Sans agriculteur, rien à manger. Cracher sur une profession dans son ensemble révèle un narcissisme et une vision étriquée de la société. La droite égocentrique conspue «les fonctionnaires». Les narcissiques de gauche en veulent aux «patrons» et, comme ils n’y connaissent rien, ils nous mettent tous dans «le MEDEF». Cracher sur «les agriculteurs» caractérise les écolos nombrilistes et les retraités qui rêvent de finir leur vie dans un camp de vacances.

De temps à autre, le nationalisme breton autocentré se donne pour exutoire une catégorie sociale, accusée de «trahir». Depuis 20 ans, les patrons bretons ont ainsi été tour à tour des suppôts de l’Opus Dei, des pollueurs, des ultralibéraux manipulateurs ou, tout simplement, des «cons» ( Voir le site )

De nouveaux mots d’ordre apparaissent : «Réunir l’ensemble des forces vives» ; «Libérons les énergies en Bretagne». Très bien… Indispensable…

Oh, je sais, tout le monde n’avancera pas au même rythme ! Certains même resteront cramponnés à leurs rassurantes ignorances. Pour que la Bretagne ne sombre pas avec la France, il faut quand même prendre le risque de se parler.

Se parler entre Bretons, au-delà des grands principes, portés par des moralistes morts de trouille, au-delà de l’amertume des vaincus d’avance.

Jean Pierre LE MAT ■

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