Un article permettant de comprendre la philisophie économique  de Gunter Pauli

  •  « Nous sommes enfermés dans la pensée compartimentée des MBA », les diplômés en business. Laissons les enfants voir comment les choses peuvent être faites différemment. C’est eux qui aideront leurs parents à changer notre monde agonisant.

Gunter Pauli est un citoyen du monde né à Anvers. J’avais un entretien avec lui à l’occasion d’une conférence qu’il fera à Amsterdam le 15 avril sur l’avenir de la production agricole aux Pays-Bas. Pauli a acquis une renommée mondiale pour son ouvrage sur l’Economie bleue qu’il serait aussi possible de qualifier d’économie verte 2.0. La différence avec la version 1.0 est la vision holistique que l’auteur nous transmet avec un enthousiasme contagieux. Mais le terme de vision est réducteur. Gunter Pauli réalise ses idées. Il essaie partout dans le monde et à chaque endroit où il parle il laisse la conviction que changer les choses est possible.

Un optimiste qui sait tout sur tout

Pauli développe une pensée systémique étendue à tous les domaines d’activités. Il peut aussi bien parler de physique, d’exploitation minière, de produits chimiques et des baleines que de l’analyse des flux de transactions monétaires et des marchés autour de l’enfance. Il entrevoit le futur comme un ensemble. Inutile d’aborder avec lui un sujet trop limité comme l’alimentation, l’énergie, les minéraux ou l’instabilité politique. « Il faut voir tout ensemble », explique Gunter Pauli. Le lisier de porc, les usines de produits chimiques, l’horticulture, les transports et l’avenir du port de Rotterdam constituent selon lui un ensemble. J’ai pu m’entretenir avec lui lorsqu’il était à Bogota en Colombie où il proposait à une simple mine de développer de nombreux autres aspects comme la plantation de bambous, la création d’une carrière et d’une usine de mouchoirs en papier, pour créer beaucoup plus de valeur ajoutée. Nous avons discuté de sa foi en l’avenir.
Gunter Pauli imagine un monde prospère et autosuffisant, sans pénurie. Voilà qui est remarquable alors que nous avons plutôt tendance à voir l’inverse se produire. Son secret ? Il pense qu’il faut penser à l’échelle de grands ensembles plutôt que de se perdre dans des petites réflexions individuelles. Les problèmes ne peuvent se résoudre en les analysant de manière séparée. Il qualifie ces méthodes de terriblement « old school » et cela mène, développe-t-il, « littéralement à la mort de l’humanité ».

Le lisier n’est pas un problème, mais un défi

« Prenez le lisier par exemple », commence Pauli. « Aux Pays-Bas il y en a trop et c’est devenu un problème. Et pourtant le lisier est une source concentrée en nutriments pour les plantes et il y a une forte demande mondiale pour ce type de produit. Le défi est donc de l’amener là où il y en a besoin. Le lisier en excès pose un problème de pollution mais il y en a besoin ailleurs. Il pose alors un problème de transport parce qu’il est constitué principalement d’eau. Le lisier est finalement un problème chimique. Il doit être transformé et si vous le faites, il se changera en or ! Vous pouvez dès lors séparer les différents éléments et préparer du lisier déshydraté, à l’état solide et prêt à être expédié. Pour faire cela il vous faut une usine. Aux Pays-Bas les agriculteurs paient pour l’enlèvement du lisier, vous pouvez donc vous faire payer pour obtenir la matière première. Il suffit ensuite de transformer le produit et de l’exporter via les ports de Rotterdam et Anvers.

Le lisier n’est donc pas un problème mais un défi économique en termes de transport et de chimie industrielle. Il faut en outre réussir à transformer le lisier en produit commercialisable. On ne produit pas encore de lisier commercialisable probablement parce que c’est encore trop onéreux. La solution serait d’expliquer ce qui risque de se passer si nous ne réapprenons pas à fertiliser les champs et les serres avec du lisier. Nous irions donc au-devant de gros problèmes parce que la pénurie de produits phytosanitaires va arriver inévitablement. Les limites de productions de fertilisants industriels sont bientôt atteintes. Les prix vont croître énormément. Celui qui développe en premier ces techniques et ce modèle économique et réussit à saisir l’opportunité deviendra assurément riche. Mais il y aurait encore mieux. Imaginez que l’on puisse développer une machine pour purifier le lisier directement à la ferme – ça se fait déjà pour les déjections humaines – le sécher et le préparer pour le transport. Dans le port de Rotterdam, Il serait ensuite collecté, traité et conditionné pour être exporté comme engrais naturel à travers le monde entier. L’agriculteur peut alors espérer gagner autant avec la merde qu’avec la viande. Au lieu de raffiner le pétrole, le port de Rotterdam pourrait devenir la base d’une industrie chimique nouvelle, c’est également un point pertinent puisque le pétrole tend à se raréfier. Si Rotterdam s’oriente sur d’autres marchés, il est certain de pouvoir continuer son activité portuaire quand il n’y aura plus de pétrole ni de gaz».

Trois questions

La façon dont Pauli relie les problèmes avec les intérêts est révélatrice de sa pensée holistique et pragmatique : « Il faut que ça s’implémente ». Il n’y a pas de problèmes, que des défis et il est impossible de régler un problème sans regarder le contexte comme un ensemble. Sa théorie du risque part de l’ensemble.
« C’est beaucoup plus dangereux de résoudre un problème isolé que de l’attaquer depuis plusieurs perspectives. Vous ne pouvez pas marcher avec une seule jambe », explique-t-il. « C’est déjà mieux sur deux pattes et encore plus à quatre pattes, comme un guépard. Autrement dit, si vous attaquez le problème de plusieurs angles à la fois, la chance de trouver un nouvel équilibre est plus grande. Si vous réglez un problème selon une seule perspective, vous prenez le risque de créer un nouveau déséquilibre. C’est ce que nous avons fait jusqu’ici. Mais le temps est venu de penser et d’agir de façon aussi intégrée que possible. »

J’ai posé trois questions à Gunter Pauli :

1. Sommes-nous, les humains, suffisamment intelligent pour mettre en œuvre toutes les solutions envisageables ?

« Cette question nous met face au défi majeur auquel nous sommes confrontés : nous-mêmes et notre comportement. Vous êtes au courant de mes anecdotes avec les enfants ? Je réalise 80% de mon travail avec des jeunes, des enfants aux jeunes adultes. Ils ne sont pas encore totalement entravés et ils peuvent encore rêver d’autres possibles. Ils ne réfléchissent pas à ce qui peut ou doit être fait. Je leur montre des choses qui sont fondamentalement différentes. » Il leur explique que d’utiliser l’électricité issue de la pression exercée par la pression du toit est une solution intelligente pour rendre autonome un bâtiment en énergie, pas de pollution, pas de câbles à l’extérieur. « Une Toyota Prius et même des panneaux solaires sont biens, mais pas assez. Il faut que l’enfant dise à ses parents que ce type de panneaux n’est pas assez bien. Il y a bien plus et plus malin. Ce type de remarque devrait pousser les parents, ceux qui détiennent le pouvoir, à oser, penser et agir. Et c’est évidemment possible ! Mais pour cela il y a une condition », poursuit Pauli. « Nous devons faire converger notre imagination et nos capacités d’enfant avec notre connaissance. Intellectuellement, nous sommes capables de comprendre les solutions. Nous devons apprendre à les accepter et à agir en conséquence. Sans l’influence de l’enfance, c’est impensable. »

2. Selon Gunter Pauli, nous devons suivre les lois de la physique sans prêter attention à la chimie et la biologie. Ces deux domaines s’adaptent automatiquement alors que la réponse de la physique est toujours la même. A l’inverse, quel est le risque pour la Nature si nous nous lançons tous en masse dans le type d’expérience d’apprenti-sorcier proposé par Pauli ? Le risque n’est-il pas énorme ?

« Si nous ne faisons rien, nous sommes morts de toute façon », explique Pauli. Écologiquement, économiquement et socialement, nous avons créé un système qui ne peut pas survivre. « Nous devons faire des expériences. Nous n’avons pas le choix. En outre, » enchaîne immédiatement Pauli, « le risque n’est pas si grand si nous prenons le problème sous tous les angles en même temps. Si chacun agit un peu, le système s’adapte de tous les côtés simultanément et nous réduisons ainsi les risques d’explosion par rapport à la mise en œuvre d’une seule solution. Nous devons oser le faire ainsi car c’est la façon la plus sûre de faire. » Au cours de notre discussion, Gunter Pauli me demande si je connais les travaux de Ilya Prigogine, celui de la théorie des fractales et du chaos. Oui, je connais. « Alors vous comprenez. De nouveaux équilibres se créent naturellement quand plusieurs perspectives différentes interagissent. Quand chaque individu agit un peu, le risque pour chacun comme pour le système en tant qu’ensemble vivant est au plus bas. » Est-il encore temps d’agir en ce sens ? Je note que nous ne souhaitons pas changer en général. « Tout à fait », répond Pauli. « Nous sommes confrontés à toute une génération qui n’est pas prête à faire des concessions et préfère tenter leur chance sans faire de sacrifices. Cette génération veut gagner de l’argent dans un monde statique en pleine dégringolade en faisant de l’argent avec de l’argent. Ça ne marche pas. La trésorerie doit être employée et ça ne marche pas sans prendre de risques. Cela nécessite un flux continu de pistes de développement, nouvelles et futées, issues de ces structures dissipatives sans hiérarchie. C’est ainsi que fonctionne la Nature.

3. L’économie actuelle est, selon Pauli, en proie à des «MBA», des diplômés en business. Ils évitent les risques et maximisent les bénéfices tirés de l’existant. Par conséquent, tout s’arrête. Comment convertir un monde comme le nôtre aux principes de l’Economie bleue malgré les milliards qui ne sont pas encore amortis par les entreprises et infrastructures ancrées dans le passé ?

« Permettez-moi de donner un exemple du projet que je mène en ce moment. La mine où je travaille ne pourra être exploitée que pendant un certain nombre d’années, qui plus est l’extraction ne rapporte rien pendant les premiers temps. Le terrain dispose en revanche de 2600 ha de terres propices à la culture du bambou. C’est intéressant car le prix de la matière première principale du papier, l’eucalyptus, augmente beaucoup. Par ailleurs, le bambou stimule le cycle naturel de l’eau, c’est donc plus intéressant sur le plan écologique et économique comme matière première. J’ai réussi à faire prendre conscience aux propriétaires de la mine que la valeur du terrain était 3000% plus importante. Si on ajoute à ça, la possibilité de créer une usine de ciment, la rentabilité sera multipliée. Les propriétaires de la mine n’y auraient jamais pensé. En combinant plusieurs solutions, je peux les convaincre avec les techniques des MBA : calcul des coûts totaux, technique de gestion d’actifs et analyse des flux de trésorerie actualisés. Sinon, ils risquent de rater le train. »
L’optimisme de Pauli est sans faille.

Un article de Dick Veerman dans Breizhlog

CategoryActualités

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